Lettre ouverte à Monsieur le professeur Wamba dia Wamba

Président du Rassemblement Démocratique Congolais

Goma

République Démocratique du Congo

8 septembre 1998

Compatriote, Monsieur le professeur,

Nous sommes des patriotes congolais indignés et révoltés par les méthodes que vous avez choisies pour déstabiliser les institutions issues de la guerre de libération contre mobutisme. Il est vrai que nous ne représentons que nos modestes personnes, mais nous ne doutons pas que les opinions exprimées dans ces lignes reflètent le point de vue de nombre de nos compatriotes épris de paix et désireux de voir ce pays sortir définitivement du cycle infernal des coups d'Etat, coups de force et guerres des clans pour se démocratiser et, enfin, se donner les moyens de sortir du sous-développement. Soufrez donc, Monsieur, de lire cette longue lettre jusqu'au bout et si vous avez encore un peu de considération pour notre peuple, veuillez réfléchir sur les propositions qu'elle contient et si possible en tenir compte.

Suite à la décision des autorités en place à Kinshasa de se conformer à une des plus importantes revendications du peuple congolais exigeant le départ des troupes étrangères, certains de vos amis, ont pris la décision de déclencher la guerre contre notre pays.

Profitant de l'effet de surprise, vos amis occupaient rapidement les trois villes les plus à l'Est du Kivu, faisant savoir au monde entier que le but de la guerre était de prendre par la force les territoires que Monsieur L. D. Kabila aurait promis aux Banyamulenge, lors de la campagne anti-mobutiste de 1996-97. Dès les premières escarmouches, des témoins de bonne foi signalaient la présence des militaires ruandais, burundais et ougandais dans les rangs des assaillants. Avec stupéfaction, les Congolais et le monde entier se rendaient compte que certains prétendus alliés du chef de l'Etat agissaient, en fait depuis longtemps, comme cinquième colonne des intérêts étrangers.

Quelques jours plus tard, vous-mêmes et d'autres compatriotes rendaient publique votre participation à ce que l'on appelait encore la rébellion banyamulenge. Notre surprise fut encore plus grande de voir que l'équipe présentée comme l'aile politique et dirigeante de la rébellion militaire était composée d'anciens partenaires banyamulenge du président de la République, des mobutistes notoires, de quelques anciens opposants au dictateur à la toque de léopard, des officiers des anciennes Forces armées zaïroises et bien entendu de quelques déçus du régime actuel. Votre désignation à la tête de cette structure politique, après que l'on ait longuement parlé de Monsieur Ngoma Zahidi, a étonné plus d'un observateur de la question politique congolaise. Il est vrai qu'avant cette nomination votre nom ne nous était pas très familier.

Monsieur le professeur, vos amis vous présentent comme un homme sérieux, intelligent, pondéré et partisan des idées de Patrice Lumumba. Vous n'ignorez donc pas le prix que cet homme attachait à l'unité de ce pays. Comment pouvez-vous concilier votre attachement aux idéaux lumumbistes avec votre association actuelle avec ceux qui pendant trente trois ans ont bafoué les droits les plus fondamentaux du peuple congolais, et ceux qui menacent l'unité du Congo aujourd'hui ? Comment pouvez-vous accepter les risques que vous prenez pour l'intégrité territoriale de notre pays?

Avec votre entrée en scène, celle de Monsieur Ngoma et la prise des villes côtières de l'Ouest du pays, la guerre sembla changer d'objectif. Vos communiqués ne parlaient plus de territoires à donner à nos compatriotes banyamulenge, mais de libération de l'ensemble du pays.

A ce stade il convient de reprendre la question posée devant les cameras de la télévision belge par ce compatriote de Goma. Combien de fois devons-nous être libérés en moins de deux ans ?

Confirmant la thèse défendue par Kinshasa depuis le début des hostilités, dès le 25 août 1998, les vrais agresseurs de notre pays, le Ruanda et l'Ouganda enlevaient leurs masques. La dictature de Kigali se déclarait prête à intervenir sur notre sol pour "protéger les Tutsis" et l'Ouganda faisait savoir que ses troupes étaient sur notre territoire pour protéger ses "intérêts nationaux". Pourquoi alors vous battez-vous, Monsieur le professeur ? Ou plus exactement pourquoi envoyez-vous à la mort cette jeunesse dont le Congo a tellement besoin pour son développement ? S'il est vrai qu'il était possible de concilier l'intérêt de notre peuple avec ceux de ces deux pays lors de la lutte contre la dictature mobutiste, aujourd'hui la situation est radicalement différente.

Premièrement, aucune règle internationale n'impose à la République démocratique du Congo le devoir de protéger les dictatures au pouvoir à Kigali et à Kampala. Cette responsabilité incombe exclusivement à ces deux pays, et ils ne peuvent l'exercer qu'à l'intérieur de leur territoire respectif. S'il existe des révoltes chez eux, ces dirigeants ne doivent s'en prendre qu'à leur propre système politique qui ne laisse à leurs adversaires aucun espace d'expression politique pacifique. Le Congo a déjà fort à faire, avec son sous développement et la mise en place de sa propre démocratie, pour se distraire à soutenir des troubles chez ses voisins ou à se dépenser à les calmer. Ceci étant, Monsieur le professeur, est-ce vraiment votre rôle que de défendre, au prix du sang de nos enfants, les intérêts de ces pays voisins ? Lorsque l'Ouganda parle de ses intérêts nationaux à l'Est de notre pays devons-nous y incorporer l'exploitation des gisements d'or de Kilo-Moto, le pillage des diamants de Kisangani, et la déforestation de l'Ituri ? La protection des Tutsis, dont se prévaut Kigali implique-t-elle la remise en cause des frontières définies en 1885 par la conférence de Berlin ? C'est à dire la perte pour le Congo de Bukavu, Goma, Uvira et des environs. Nous avons noté votre déclaration du 4 septembre 1998, selon laquelle vous n'accepterez pas la partition du pays. Auriez-vous les moyens de faire respecter cette magnifique résolution ? Beaucoup de nos compatriotes demeurent dubitatifs.

Secondement, deux dictatures peuvent-elles légitimement imposer la démocratie dans un troisième pays ? En toute modestie, nous parions le contraire. Les dictatures de Kigali et Kampala étant d'essences minoritaires, mono-ethniques et éminemment antidémocratiques se doivent pour subsister d'éviter à tout prix la naissance d'une réelle démocratie au centre de l'Afrique. Le fait que cette guerre ait été déclenchée à quelques mois des échéances électorales annoncées par le gouvernement congolais, alors que le dialogue entamé avec les partis de l'opposition était bien avancé ne constitue absolument pas un fortuit concours de circonstances.

Troisièmement, est-il acceptable que les dirigeants de notre pays soient désignés par une minorité ethnique malheureusement manipulée et contrôlée par les autorités d'un pays étranger ? Avez-vous autant de mépris pour votre propre peuple pour croire un seul instant que cette nouvelle forme de colonisation puisse convenir à l'ensemble des Congolais ? Votre aveuglement, et la soif du pouvoir de vos amis, font un mal immense à nos compatriotes banyamulenge. Nul n'ignore la complexité de l'histoire et de la sociologie du Kivu, mais votre imprudente action a mis un frein diabolique à la pénible intégration qui était, malgré tout, en œuvre au Kivu et dans les autres parties de notre pays.

Quatrièmement, qui peut croire un seul instant que les mobutistes qui vous entourent pourront amener la démocratie ou le développement économique dans notre pays ? Demander à votre coéquipier Monsieur Ngoma Zahidi de vous relire l'analyse de la classe politique mobutiste qu'il faisait lors de la Conférence Nationale dite Souveraine. Ces gens n'ont aucun autre projet politique que de piller le pays comme ils l'ont fait pendant trente trois ans. Certes les mobutistes sont des congolais au même titre que vous et nous, ils seraient donc en principe légitimés à s'occuper des affaires du Congo. Mais compte tenu de l'histoire récente de notre pays, l'éthique et la décence mêmes imposent qu'ils se tiennent à l'écart des affaires publiques, au moins pendant un certain temps.

Cinquièmement, comment croire à votre volonté de nous libérer, de respecter les droits de l'homme, si dès le départ les méthodes de vos forces s'avèrent les plus contestables. Comment s'expliquent les disparitions que beaucoup de compatriotes dénoncent à Goma ? Que dire des massacres (634 morts) perpétrés dans les régions contrôlées par vos commanditaires et dénoncés notamment par le Vatican ? Quel avantage stratégique décisif aviez vous tiré en supprimant la fourniture d'électricité et d'eau à de nombreuses villes de plusieurs millions d'habitants, dont Kinshasa ? Savez-vous le nombre de civils, femmes et enfants que ces coupures d'électricité ont conduit à la mort ? Avez-vous estimé le nombre de victimes qui feront suite aux épidémies que ne manquera pas de provoquer la carence en eaux potables de Kinshasa pendant plusieurs jours ? N'y a t-il pas là un véritable crime contre l'humanité ?

Monsieur le professeur, vous êtes dans l'erreur, une erreur dramatique, voire tragique et extrêmement coûteuse pour notre pays qui a déjà tant souffert. Après moins d'un mois de guerre les morts se comptent déjà par milliers, et les pertes matérielles par millions. Quand allons-nous reconstruire ce pays ? rééduquer sa jeunesse, la remettre au travail ? Non seulement vous avez pris le risque de plonger le pays dans une longue et atroce guerre, mais le Congo pourrait purement et simplement se disloquer, donc disparaître. Avez-vous mesuré les conséquences de vos actes ? Toute l'Afrique centrale peut se retrouver plongée dans une guerre dont les répercutions sont inimaginables.

Monsieur le professeur, vous êtes dans l'erreur. On peut comprendre, voire accepter l'usage de la violence en politique. Elle s'avère parfois nécessaire et inévitable. Mais cette regrettable extrémité ne devient légitime que si toutes les autres formes de lutte ont été essayées vainement. Depuis le 17 mai 1997, nous n'avons rien entendu de votre camp, ni de vous-même, ni de vos partenaires mobutistes et encore moins de vos amis banyamulenge qui étaient hier encore au gouvernement. Seul Monsieur Ngoma Zahidi peut se prévaloir d'avoir tenté une unique action pacifique avant de choisir la brutalité.

Et si la nation survit à cette guerre injuste, qui en payera le prix ? Ne nous faisons pas d'illusions, les pays qui interviennent de part et d'autre, quelle que soit la légitimité de leur implication finiront par nous présenter une lourde facture. On imagine bien que les troupes étrangères ne viennent pas seulement pour admirer les rondelettes joues des belles congolaises. On peut parier que la note se chiffrera en millions de dollars. Le pauvre Congo déjà surendetté par Mobutu et les mobutistes ne fait donc qu'élargir le gouffre financier dans lequel il patauge depuis longtemps.

Monsieur le professeur, vous êtes dans l'erreur. Lors de la marche de L. D. Kabila pour le départ de Mobutu, le pays tout entier était derrière ce que l'on appelait alors la rébellion. Quoi qu'en disent certains de nos amis, l'opposition intérieure facilitait l'avancé des libérateurs, et les Forces armées zaïroises refusaient de défendre la dictature. De véritables festivités suivaient la prise de chaque ville ou village. L'espoir était à l'ordre du jour ! Avez-vous observé comment le peuple congolais réagit aujourd'hui à vos conquêtes ? Il n'y a aucun enthousiasme dans les villes qui tombent sous le contrôle de vos commanditaires, mais plutôt le deuil, la désolation, la déprime. Faut-il rappeler l'accueil réservé à vos troupes par la population de Kinshasa lors de ces tragiques journées des 24, 26 et 27 août 1998 ? Savez-vous ce qui se dit dans les rues de Goma ? Monsieur Lunda Bululu vous a-t-il fait rapport sur les réactions de la population de Kalemi ? Allez-vous à la fin du vingtième siècle gouverner un peuple contre son gré ?

Monsieur le professeur, vous êtes dans l'erreur. Malgré l'aide considérable des médias des grandes puissances, qui s'acharnent à salir l'image de L. D. Kabila, vous n'avez pas pu légitimer votre guerre aux yeux de l'opinion publique tant nationale qu'internationale. Bien au contraire, votre action contribue à renforcer l'image négative d'une Afrique incapable de résoudre ses problèmes par des moyens civilisés. Malgré vos dénégations, vos propres amis du " Figaro", "Libération", "Le Monde" et autres ne cessent de présenter votre guerre comme celle d'une ethnie, les Tutsis contre les autres Congolais. Monsieur le professeur, vous apportez de l'eau aux moulins des semeurs de haine qui veulent accréditer l'idée farfelue de l'existence d'un projet impérialiste tutsi tendant à la création d'un prétendu empire Hima en Afrique centrale. Nous, lumumbistes, considérons que le véritable ennemi, celui qu'il faut déloger de nos têtes c'est le tribalisme, le racisme. Voici des années que nos militants anti-tribalistes, anti-racistes luttent pour une franche intégration de nos compatriotes banyaruanda dans la communauté nationale, ce combat n'a jamais été simple et voilà que votre guerre vient ruiner nos espoirs. Le moment n'est-il pas venu de vous rendre à l'évidence ?

Monsieur le professeur, si par impossible ou regrettable et extraordinaire concours de circonstances vos commanditaires parvenaient à occuper durablement notre pays, et à vous imposer à la tête de l'Etat ou à y placer un de vos amis ; votre légitimité sera à jamais entachée par l'origine douteuse de votre ascension. Certains de nos compatriotes craignant de perdre leur vie se soumettront à votre autorité, toutefois d'autres quelles que soient les armes ou les moyens non violents qu'ils choisiront, continueront à vous combattre. Mais bien peu vous respecteront. Peut-être comptez-vous sur la courte mémoire des peuples ou estimez-vous comme Machiavel que la fin justifie les moyens et tant pis pour le reste.

Monsieur le professeur, nous connaissons maintenant les griefs que vous portez au gouvernement actuel. Mais nous ne vous avons pas beaucoup entendu sur les thèmes qui préoccupent réellement nos compatriotes, notamment ; le respect absolu de l'intégrité territoriale du Congo, la souveraineté exclusive sur ce territoire, votre définition de la nationalité congolaise, les relations avec les pays voisins, sur la démocratie, la constitution d'une armée véritablement nationale, le respect des droits de l'homme. Voyez-vous ! De nos jours, il ne suffit plus de critiquer, de terroriser, de tuer. Il faut encore annoncer, présenter, expliciter, analyser, promettre, et surtout s'engager clairement sur un programme de gouvernement.

Monsieur le professeur, vous êtes dans l'erreur, une erreur regrettable. Ne pensez pas que notre opposition à l'agression, dont vous portez la responsabilité et l'appui sincère que nous apportons à l'action du gouvernement légitime de la République nous rendent aveugle au point de perdre tout esprit critique à l'endroit de nos autorités. Il est vrai que certaines regrettables erreurs de jeunesse doivent être relevées. Les observateurs citent notamment ; la sur-réprésentation dans les organes supérieurs de l'Etat des ressortissants du Katanga, région d'origine du chef de l'Etat ; signalons en passant qu'avant le déclenchement de cette maudite guerre le même reproche était adressé aux banyamulenge. On cite également la trop longue suspension des activités des partis politiques autres que l'AFDL, le retard mis par les autorités à ouvrir un véritable dialogue avec les leaders de l'ancienne opposition à Mobutu, les arrestations, emprisonnements et relégations de certains leaders de l'opposition ; l'abandon et le mépris dans lequel les anciens militaires des Forces armées zaïroises ont été maintenus, alors même qu'ils avaient refusé de défendre la dictature ; la confiscation sans procès des biens, maisons, véhicules et autres, appartenant à des personnes privées ; l'initiation et l'abandon sans explications claires des procès de certaines personnalités de la deuxième République ; la présence supposée dans l'entourage du chef de l'Etat des personnes présumées commanditaires des massacres tribalistes dont ont été victimes des centaines de nos compatriotes lors des événements du Shaba sous la seconde République.

Il est également vrai que par pureté idéologique ou excès de franchise Monsieur L.D. Kabila a manqué d'habileté diplomatique, notamment dans le traitement de ses relations avec l'ONU, les USA, la Communauté Européenne et la France en particulier. A l'intérieur, probablement pour les mêmes raisons, il n'a pas su négocier des alliances politiques, ne seraient ce que tactiques, avec certains leaders nationaux. L'AFDL a été un instrument efficace pendant la guerre de libération, mais s'est avérée une piètre machine de propagande politique. Sa communication a été tout simplement lamentable, son implantation nationale lacunaire. Certains proches collaborateurs du chef de l'Etat tardent à comprendre que la politique ne consiste pas seulement à s'imposer, à soumettre, à gérer mais aussi et surtout à séduire, à persuader, à convaincre, à motiver, à encourager. D'ailleurs, aujourd'hui encore, si le chef de l'Etat est extrêmement populaire, beaucoup de ses collaborateurs ont un retard considérable sur ce terrain.

Monsieur le professeur, ces erreurs de jeunesse justifient-elles les souffrances que vous imposez maintenant à notre peuple ? Pourquoi ne tenez-vous pas compte des actions positives réalisées dans des conditions extrêmement difficiles ? Dans un temps record, sans l'aide internationale, alors que les caisses étaient vidées par certains de vos associés actuels, beaucoup a été concrétisé. Ne pouvez-vous pas le reconnaître ? Le peuple quant à lui a remarqué qu'avant cette guerre injuste l'inflation était maîtrisée, le lancement réussi de la nouvelle monnaie nationale augurait d'une situation économique meilleure, la sécurité de nos villes et campagnes s'améliorait ; plusieurs hôpitaux, les routes de desserte agricole et les grands axes du pays étaient en travaux de réfection ; nos villes devenaient propres, nos aéroports présentables, la société nationale d'aviation avait repris ses activités internes et s'apprêtait à relancer les vols internationaux ; les sociétés de chemins de fer, les entreprises exploitantes des voies fluviales annonçaient des programmes prometteurs. Le projet d'une constitution démocratique venait d'être déposé sur le bureau du chef de l'Etat. Malgré le retard évoqué plus haut le dialogue avec les grandes organisations politiques de l'opposition se développait positivement ; des nombreux exilés rentraient au pays avec des projets économiques et techniques de toutes sortes; les investisseurs tant nationaux qu'internationaux commençaient à reconsidérer leur position de méfiance à l'égard de notre pays, bref la confiance reprenait vie.

Monsieur le professeur, vous êtes dans l'erreur. En dépit du gigantesque fossé qui sépare vos positions et vos méthodes de nos convictions, nous partageons avec vous (pour autant que vos derniers discours soient sincères) l'idée suivante : quelle que soit la gravité de la situation les enfants du Congo doivent se parler ! C'est ainsi que sous certaines conditions bien précises nous serions partisans de l'ouverture d'un dialogue entre tous les enfants de ce pays. Mais voyez-vous ! Monsieur le professeur, vous avez mis les démocrates, les partisans de la résolution des problèmes par le dialogue et les non violents de notre pays dans une position extrêmement difficile. Peut-on discuter sereinement alors que nos compatriotes du Kivu, de Kisangani et de Kalemi sont pris en otage ? Là réside tout le problème; les congolais des régions que vous contrôlez ne sont plus des citoyens libres, mais les otages de vos commanditaires Ruandais et Ougandais. Le citoyen est celui qui participe de son plein gré à la gestion de la cité, or vous êtes sans ignoré que nos compatriotes des zones occupées ne veulent ni de cette guerre, ni de votre administration, de plus ils n'ont jamais fait appel à ces voisins. Le dialogue doit être possible entre les congolais, mais faites d'abord partir ceux qui souhaitent l'affaiblissement de notre pays.

Le temps presse, chaque jour qui passe des milliers de nos compatriotes tombent, alors que chacun sait pertinemment que ces sacrifices ne résoudront aucun problème de fond. Notre courte, mais néanmoins instructive, histoire contemporaine démontre à souhait que la solution de nos problèmes ne découlera pas de la violence. Chez nous, les victoires militaires ne peuvent être que temporaires. Elles indiquent l'homme fort d'une période, mais laissent intactes les véritables préoccupations nationales, et justifient les prochaines revanches. Ainsi nous estimons qu'il faut se tourner résolument vers des méthodes plus efficaces, plus porteuses de stabilité et de progrès, plus consensuelles. Faites donc vite, Monsieur le professeur, exiger le départ de vos commanditaires.

Comme beaucoup de nos compatriotes, nous estimons que la situation actuelle posent deux problèmes majeurs : celui de l'intégrité territoriale du Congo, et celui de la démocratisation de nos institutions. Depuis trop longtemps la maîtrise du destin national nous échappe et notre pays sert de théâtre à des luttes qui ne nous concernent pas directement. Avec une arrogance et un mépris incompréhensibles des pays voisins et des puissances plus lointaines absolument indifférentes à notre bien être, évoquent et souhaitent la dislocation de notre pays. Nous nous devons d'oublier temporairement nos antagonismes pour privilégier l'essentiel et aménager les possibilités d'un véritable dialogue. Plusieurs compatriotes suggèrent la tenue d'une table ronde.

L'idée d'une table ronde d'examen de nos réalités historiques et actuelles et de réconciliation nationale n'est pas nouvelle. A certains égards la Conférence nationale dite souveraine répondait à ce souci, mais chacun sais comment elle avait été convoquée, dans quelles conditions elle s'était déroulée, et ce qui avait été fait de ses résolutions par ceux-là même qui l'avaient animé. Il conviendrait de reprendre l'idée de ce forum national et de l'enrichir. Pour que ce dialogue soit crédible aux yeux de nos compatriotes et ne mette pas en cause les intérêts fondamentaux de la nation, il y a un certain nombre de préalables.

· Instauration d'un cessez le feu général
· Reconnaissance par tous de la légitimité des institutions actuelles.
· Evacuation du pays de toutes les forces étrangères non invitées par le gouvernement légitime, en contre partie garantie de non-poursuites des éléments ayant participé à la rébellion.
· Déploiement d'une force neutre.
· Engagement de tous les protagonistes sur l'intangibilité des frontières actuelles de notre pays.

Cette table ronde nationale ne saurait se limiter à un face à face entre le gouvernement et la rébellion sous le prétexte qu'ils contrôleraient telle ou telle fraction du pays mais, toutes les forces vives de la nation. Cette conférence souveraine, absolument et réellement indépendante des puissances étrangères, strictement limitée dans le temps (un mois) devrait notamment :

· Constater et entériner la cessation des hostilités sur l'ensemble de la République démocratique du Congo.
· Proclamer et organiser la neutralité politique des Forces armées congolaises.
· Confirmer le caractère légitime, mais provisoire des institutions politiques actuelles, préciser leur échéance non renouvelable.
· Affirmer l'intangibilité des frontières issues de la décolonisation et la souveraineté exclusive et inaliénable du Congo sur l'ensemble de la République.
· Proclamer l'adhésion du peuple congolais à la démocratie pluraliste et au respect des droits de l'homme.
· Poser les grands principes d'une constitution démocratique à rédiger et à soumettre rapidement au référendum populaire.
· Préciser la notion de la nationalité congolaise.

Considérant que la bravoure et la responsabilité résident plus dans la raison et la recherche des solutions définitives que dans les sentiments de vengeance, nous vous demandons de réfléchir sur cet appel. Il est urgent d'éviter à notre peuple les affres d'un conflit armé inutilement long.

Dans l'espoir de vous voir arrêter la guerre, et de vous entendre militer pour la paix, le dialogue et la prospérité de notre pays, nous vous prions d'accepter nos salutations patriotiques.

JEAN PIERRE KAMBILA KANKWENDE
FAUSTIN NSAKA
TIMOTHEE NGOY-TITA
BAFWA MUBENGAY LWAKALE